Danse avec les dragons

Vilal et Suri viennent des plaines lunaires.

L'épisode du vieux et très gros béhémoth passé, Vilal s'inquiéta d'autres détails à venir, notamment ce qui les attendait dans la grotte. Il interrogea Suri à ce sujet et la demoiselle baissa le regard vers le sol poussiéreux, tâchant de se souvenir de ce qu'elle avait déjà pu voir auparavant, lorsqu'elle vivait dans ce lieu pourtant si dangereux.
« Surtout des magiciens. Je me souviens que mon père gardait bien des mages pour protéger son domaine... ainsi que des dragons... différents dragons, il me semble qu'il y en avait des dorés et des... zombies, voilà. Des dragons zombies. » Elle le répéta clairement comme pour elle-même s'enregistrer l'information. Des dragons zombies... disons que ça ne donnait absolument pas envie de les croiser. Quoi qu'on ne voudrait simplement rien croiser ici en toute franchise.

Après une grande inspiration, Suri donna le signal.
« Bon, allons-y. » Elle avait le sentiment que c'était à elle de le faire, après tout, c'était pour elle qu'ils s’aventuraient dans cette grotte si dangereuse... Vilal n'y gagnait rien en théorie, si ce n'était une certaine découverte. Il était clair qu'il aurait de quoi faire face à des nouveautés ici !

Sitôt à l'intérieur, ils furent accueillit par un endroit sinistre, où une brume inquiétante planait, camouflant un peu leur vision. Ils n'entendaient rien, mais ça ne voulait pas dire que les monstres étaient absents. Sans doute se tapissaient-ils dans l'ombre. Cela dit, ils pourraient sûrement passer furtivement, les monstres des lieux n'étant pas exactement habitués aux visiteurs, ils n'étaient pas tant que ça aux aguets...
Toutefois, ça ne voulait pas dire qu'il ne fallait pas être prudent.

« Il y a trois sous-sols en tout. Je vais essayer... de me souvenir du chemin le plus court. » Elle alla fermement chercher sa main, puis le guida au possible au travers la noirceur et la brume. D'instinct, elle se faufila sans trop de mal. Les monstres ne se préoccupaient pas trop d'eux, ou ne s'apercevaient pas tellement de leur présence, pour une raison ou une autre. Suri songea que son sang aidait peut-être... elle était la fille de Bahamut après tout...
Ces monstres le sentaient-ils ?

Sa main se resserra brutalement lorsqu'une secousse retentit devant eux, sur le petit chemin. Un énorme dragon doré venait de se poser là pour leur bloquer la route. Il s'approcha brutalement d'eux, avançant sur ses quatre pattes avec une vitesse prédatrice, mais Suri s'enracina dans le sol et ne bougea pas. Elle n'était pas sans avoir peur par contre et Vilal pouvait le sentir sur les tremblements excessifs de ses doigts sur les siens. Elle soutint le regard de la bête néanmoins, et celle-ci la considéra un instant, avant de soupirer un souffle chaud et assez déplaisant merci, et de prendre son envol.

Suri dû attendre qu'un élan de nausée la quitte avant de reprendre. Non pas que le dragon doré eut mauvaise haleine, mais elle avait eut si peur qu'elle avait été prise d'un vertige soudain... OK donc... peut-être avait-elle une petite influence ici, mais pas sûr que ça fonctionne à tous les coups, donc autant ne pas compter là-dessus...
« C-continuons... » Elle tâchait de ne pas se laisser décontenancer, mais ses jambes étaient toutes molles, comme de la gélatine. Elle mit quelques secondes après avoir dit ça pour se remettre en marche, s'aidant de Vilal pour ne pas trop perdre l'équilibre. Il restait encore un sous-sol, et plus ils approchaient, plus elle tremblait, plus elle avait des picotements dans les jambes, plus sa gorge se serrait. L'appréhension était à son comble, son niveau de cortisol au-dessus du plafond...

Elle ne savait pas ce qu'elle allait trouver. C'était insoutenable.

Descendre dans cette caverne n’allait pas être facile, mais Vilal espérait qu’ils sauraient éviter les monstres au mieux. Après avoir plié la tente, ils s’avancèrent vers l’immense trou béant à flanc de falaise, gardant un œil autant sur leurs arrières, jusqu’à ce que Suri finisse par lui prendre la main pour pouvoir le guider au mieux parmi le dédale que représentait cet endroit.

Elle ne plaisantait pas quand elle parlait de ponts qui surplombaient des ravins sans fond. Il n’avait pas le vertige, mais en se penchant un peu pour voir, il était évident que ce n’était vraiment pas le moment de tomber ! Surtout qu’ils n’avaient plus de corde, elle était encore accrochée en haut du cratère.

Il se souvenait de ce qu’elle lui avait dit concernant les créatures qui vivaient ici, des mages, des dragons zombies. Il s’intéressait à les voir, la faune de cette lune était absolument extraordinaire, et il espérait qu’un jour, il serait assez fort pour les affronter. Il n’était pas de ceux qui avaient besoin de prouver quelque chose, mais mine de rien, savoir qu’on est capable de terrasser un béhémoth de la taille de celui qu’ils avaient croisé devant la tente, c’était intéressant.

« J’espère que tu sais où tu vas. Je suis impressionné par ton sens de l’orientation, il n’y a pas vraiment de repère par ici. » tous les murs sont les mêmes, couleur, forme, ce ne sont que des parois de pierre, des ravins, il se demandait même par quel miracle il arrivait à y voir quelque chose ?

Il n'eut pas le temps de se poser la question, une secousse les obligea à se figer au milieu d'un pont alors qu'un énorme dragon doré se posait devant eux... enfin, se posait, c'était relatif, il ressemblait en fait à un serpent enroulé sur lui-même qui flottait légèrement au-dessus du sol mais il restait impressionnant et toisait Suri du regard. La demi-chimère s'était plantée devant lui, son instinct lui dictait d'échanger les rôles, mais elle semblait solidement ancrée dans le sol, et il ignorait pourquoi, il avait davantage le sentiment qu'il ne devait pas bouger.

Le temps semblait interminable, comme si des heures étaient en train de s'écouler pendant que la jeune femme fixait le dragon doré, jusqu'à ce que finalement, il souffle un grand coup et s'envole pour repartir d'où il venait. Suri semblait affaiblie, avait-elle utilisé un quelconque pouvoir psychique? Il se plaqua contre son dos pour la maintenir, les mains sur ses épaules, il s'inquiétait un peu

«J'ignore comment tu as fait, mais on va essayer de faire en sorte que tu n'aies pas à le faire trop souvent... comment tu te sens?» après s'être assuré qu'elle était en état, ils se remirent en route. Il ne restait plus qu'un étage, et après avoir perdu du temps à rester caché le temps qu'un autre dragon, argenté cette fois, ne passe son chemin, ils arrivaient enfin tout en bas.

Le calme régnait, il y avait des lumières, une immense plate-forme avec des colonnes disposées en cercle, difficile d'imaginer que quiconque ait pu vivre ici?
«Hum... peut-être que tu devrais essayer de l'appeler? En tout cas, je me demande comment tu as pu vivre ici aussi longtemps... tu te nourrissais comment?» son père lui apportait peut-être des vivres, difficile à dire, toujours est-il que de toute évidence, il n'y avait personne ici. Mais le chevalier préférait attendre de voir comment Suri réagissait. Allait-elle avoir besoin de réconfort? Serait-elle soulagée? Ces derniers temps, il lui était impossible de prévoir ses réactions, elle était trop bizarre.

Comment elle se sentait ? Bizarre. Difficile à dire. Il n'y avait pas vraiment de mot à mettre sur ce qu'elle vivait. Sauf s'il parlait par rapport au dragon doré ? Peut-être... Elle secoua la tête alors qu'elle sentait ses mains fermes sur ses épaules, comme s'il craignait qu'elle ne chute après cette rencontre. Il était vrai qu'elle n'était pas tout à fait alerte, elle avait un brouillard dans la tête et c'était difficile de se concentrer...
« Je... Je pense qu'il a dû sentir que je n'étais pas étrangère... ? » Elle avait marmonnée ça un peu faiblement, l'incertitude était évidente. C'était un peu arrogant de dire ça, c'était bien ça le souci. Elle ne voulait pas donner l'impression qu'elle dominait les lieux juste parce qu'elle était la fille de Bahamut ! Après tout, sa mère était humaine... elle avait du sang humain et ça pourrait bien lui porter préjudice si un monstre décidait qu'une "moitié" de Bahamut ne suffisait pas.

Bref, ils avancèrent, se frayant un chemin jusqu'au troisième sous-sol, où, après une longue route sans embûches et pourtant pleine de danger, ils arrivèrent devant les escaliers qui menaient à la plateforme circulaire où Bahamut était, en théorie...
Suri hésita à avancer. Elle dévisagea les marches, avant de les gravir une à une, d'un pas lent. La plateforme était vide, bien évidemment. Il n'y avait personne et elle ne pouvait pas dire sentir la présence de son père dans les parages. Vilal suggéra de l'appeler, tout en s'étonnant qu'elle ait vécue ici. Il demanda même comment elle faisait pour se nourrir.
« Je n'en avais pas besoin, en fait... » C'était paradoxal quand on savait à quel point elle appréciait manger ! Et combien elle avait souvent faim... Mais ici, elle n'avait jamais ressentit la faim. Comme si son père l'en protégeait pour lui éviter les désagréments humains.

Son regard demeura braqué un moment sur le centre de la plateforme. Elle devinait presque encore sa silhouette humaine. Grand, élancé, sophistiqué et élégant, avec une toge bleu-violette, ses longs cheveux blonds... et ses yeux violets, dont elle se souvenait précisément de l'éclat. Malheureusement, il n'était pas là.
« Père ?! » Elle fit un tour sur elle-même, scrutant les ombres à la recherche de l'éclat de ce regard améthyste, de grandes ailes noires, d'une écaille de dragon... « Père !! » Mais il semblait évident... à mesure que les secondes passaient... qu'il n'était pas là. Ce si long voyage, toutes ces épreuves, tout lui repassa en tête comme des flashs qui lui assaillaient le regard. Cette attente, cet espoir, ces incertitudes, cette agonie, à ne pas savoir si elle voulait le retrouver ou non, à craindre tout et rien, à s'imaginer des choses, et finalement ici, là où il devrait être, il n'était pas là ?!

Tout ça pour rien... ?

Tout ça pour rien.

Elle sentit quelque chose venir lui piquer les paupières alors que ses jambes se dérobaient sous elle, la laissant tomber à genoux, la tête penchée en avant, en proie à un sentiment désagréable... à une tonne d'émotions déplaisantes... la déception, surtout. Si elle avait les larmes plein les yeux, c'est la colère qui se fit entendre lorsque ses cordes vocales décidèrent de vibrer.
« Où êtes-vous si ce n'est pas ici ?!! » Son poing se fracassa sur la plateforme qui ne broncha aucunement sous la force de sa poigne. Sa frustration se dissipa bien vite lorsqu'un sanglot lui prit la gorge et qu'elle se laissa mollement assise, le dos voûté et la déception au cœur.

Ah ! Si elle s'était demandé ce qui aurait été mieux entre retrouvé son père et laisser Vilal, ou l'inverse, maintenant, elle ne le savait pas davantage. Ne pas retrouver son père lui crevait l'âme, elle n'avait même pas envie de bouger, comme si l'espoir qu'il reparaisse ici un jour était bien présent, mais d'un autre côté, elle savait que Vilal ne pourrait pas ressortir seul et encore moins retourner sur Héméra sans son aide. Enfin, il saurait sans doute se débrouiller mais... voilà quoi...
Ils continueraient donc de voyager ensemble, à ce qu'elle comprenait. Était-ce une satisfaction suffisante ? Difficile à dire... Là pour le moment, elle n'avait qu'un gros brouillard dans la tête, le mieux pour commencer serait de se calmer... Plus facile à dire qu'à faire néanmoins.

« Où puis-je donc le trouver... si ce n'est pas ici... à la maison... » Sa voix n'était qu'un couinement étranglé par des pleurs, rien n'avait de sens, même si elle s'attendait gros comme le monde à ne pas le trouver ici... pour elle, ça n'avait tout bonnement pas de sens... Pourquoi n'était-il pas ici ? Il aurait dû savoir qu'elle reviendrait un jour, non ? Pourtant, il n'était pas là...
Pourquoi... ?

Traverser cette antre semblait avoir été interminable. Surtout pour les nerfs à vrai dire, car chaque rencontre avec un monstre pouvait entraîner une mort dans d'atroces souffrances! Même Vilal qui n'était pas d'une nature peureuse n'avait clairement pas envie de s'y risquer! Alors se faufiler en toute discrétion jusqu'à cette étrange plate-forme avait été une véritable épreuve psychologique qu'il espérait ne pas avoir à renouveler trop souvent.

Sauf qu'une fois en bas, ça semblait vide. Le chevalier supposait que si Bahamut était là, qu'il avait peut-être besoin de s'assurer qu'il s'agissait bien de Suri, ou il y avait peut-être un signe, un signal à faire pour qu'il apparaisse... il laissa donc la jeune femme s'avancer afin qu'elle puisse l'appeler, sauf qu'en dehors de l'écho, rien ne semblait répondre à ses cris. Il la vit s'effondrer, aussi il s'avança au plus vite, mettant un genou à terre pour se placer à ses côtés pendant qu'elle paraissait perdre tout espoir

«Suri... Suri... calme toi... ça va aller.» il ne pouvait comprendre sa déception, c'était le genre de chose qui lui passait un peu par-dessus la tête, quand il avait un objectif à atteindre et qu'il n'était pas à l'endroit prévu, peu importe pour lui, il continuait jusqu'à y arriver. «au moins maintenant, nous savons qu'il n'est pas ici... mais il fallait bien nous en assurer. Nous continuerons de le chercher... on va y arriver.» il la serra un peu plus contre lui, elle pleurait, elle semblait désespérée «rappelle toi ce qu'Alexandre nous a dit... en récupérant les orbes, nous pourrons l'appeler, où qu'il se trouve... je suis désolé, il te faudra attendre encore un peu, mais tôt ou tard, on y arrivera, je te le promets...»

Il caressait doucement ses cheveux en la gardant contre lui. Il ne savait pas si ce qu'il disait l'aidait vraiment ou si ça ne faisait qu'empirer les choses. Mais de son point de vue, sa mission était claire, l'accompagner jusqu'à ce qu'elle le retrouve. Il recula un peu, essayant de trouver une autre idée

«Tu n'as pas parlé d'un Royaume des Chimères ? Il pourrait être là bas?» il ignorait évidemment qu'ils ne pourraient pas y accéder, ça aussi, ils le découvriraient une fois sur place, mais c'était déjà un début de piste? «allez viens... il faut qu'on sorte d'ici. Allons au village des Hummingways pour nous reposer, au moins un jour, avant de repartir... ils sauront peut-être quelque chose?»

Il l'aida à se relever, ils firent le chemin en sens inverse, la morosité de Suri devait probablement faire exploser son côté chimère car les monstres les fuyaient comme la peste! Et un fois dehors, aucun béhémoth visible, même l'escalier était libre. Il récupéra cependant sa corde avant de partir, et ensembles, ils se dépêchèrent de rejoindre le village, il commençait à faire faim avec tout ça! Quoi que Suri avait peut-être perdu l'appétit.