Ombres au milieu des reflets d'argent

Mélina et Bélia avaient laissé plusieurs chances à leurs opposants, mais il fallait croire que ces derniers ne se rendaient pas à l’évidence : seule une défaite cuisante les attendait.
 
Le dernier d’entre eux, qui devait être le chef, serra les dents quand Bélia lui lança son injonction. L’énergie de la dernière chance, aussi nommée énergie du désespoir, le poussa en avant, ignorant l’écart de force entre lui et ses adversaires. Maniant habilement la lame, il se faufila devant la Béhémoth et frappa d’un coup sec et rapide. Un sourire de satisfaction illumina son visage avant que la surprise ne le défigure.
 
L’instant d’après, il gisait au sol.
 
Des gardes déboulèrent en trombe dans la ruelle. Ils bloquèrent les différentes issues et appelèrent une équipe médicale. Un homme richement vêtu se démarqua bien vite du lot. L’homme mature aux traits sévères s’approcha de Vlad comme s’il était son unique objectif. Il jeta un œil aux jeunes femmes, puis sur les hommes avant que le grand blond ne lui explique la situation. Le juge s’en alla ensuite en direction des demoiselles.
 
« Mesdames, j’ai cru comprendre que vous étiez venues en aide à Sir Vlad. Cette agression n’est pas la première et nous peinons encore à stopper les raclures qui infestent encore notre belle cité. Je m’excuse au nom de la garde. Sachez néanmoins que ces individus seront trainés devant la justice sans faute. »
 
Le chef des bandits fut relevé et menotté. Le juge s’approcha alors de cet individu.
 
« Les charges contre toi sont nombreuses. Tu as intérêt à parler et à nous dire qui est votre commanditaire. »
 
Un crachat fut sa seule et unique réponse. Le juge se retint de gifler l’impertinent et s’essuya simplement à l’aide d’un luxueux mouchoir. Vlad s’approcha alors, posa ses yeux sur les deux demoiselles, puis de nouveau vers son assaillant.
 
« Permettez… »
 
Sa main se posa sur le visage du criminel. Les pupilles de ce dernier se dilatèrent. Il commença à se débattre, mais les gardes le maintenaient fermement. Puis, après quelques secondes, les muscles de l’agresseur se relâchèrent.
 
« Bayroyd… »
 
Puis, il tomba dans l’inconscience.
 
« Voilà votre homme, Juge suprême Von Karma. »
 
Le prénommé Von Karma sourit avant de répondre non sans une certaine complaisance.
 
« Votre talent m’impressionnera toujours, sir Vlad. Aucun criminel ne vous résiste. Vos services nous sont précieux. »
-« Vous venir en aide, Juge Suprême, et vous permettre d’éradiquer le Mal qui infeste cette ville, est un plaisir. »
 
Après cette scène quelque peu insolite, la cible de toute cette affaire se dirigea vers les demoiselles.
 
« Je ne saurai dire si cela est suffisant, mais permettez-moi de vous dédommager. » dit-il platement en leur tendant une sacoche de gils. « Si d’aventure vous veniez à chercher un travail, retrouvez-moi à Alexandrie ou même Lindblum dans les semaines à venir. J’aurai certainement besoin de vos compétences. »
 
Et ce dernier s’en alla. Puis le cortège suivit et, bien que quelques gardes retinrent les demoiselles de sorte à avoir leurs dépositions, elles furent bientôt, enfin, libres de leurs mouvements.
 
 
 
 
 
 

« Ils m’auront presque fait transpirer. » se dit Mélina en secouant ses mains avant de quitter sa posture de combat.

Comme elle l’avait prédit en s’engageant dans cet affrontement, la garde de Tréno finit par rejoindre les lieux de l’altercation.

« Tiens donc, ne serait-ce pas...

Les membres de la garde étaient accompagnés d’un homme que Mélina reconnu aussitôt qu’il fit son apparition. De nombreuses fois, elle avait pu voir ce visage anguleux et déjà marqués par ses nombreuses rides et crevasses dix ans auparavant, lors des tablées mondaines auxquelles elle avait pu assister dès qu’elle était en âge. Le juge Von Karma gardait encore son emprise implacable sur les autorités de Tréno et si l’on en croyait sa posture parfaitement droite qu’il parvenait à maintenir à l’aide de sa simple canne en bois de chêne, il était loin de laisser sa place à qui que ce soit ne disposant de la carrure et des idéaux qu’il se targuait d’afficher depuis sa nomination.

L’état dans lequel les trois hommes à terre se trouvait amena le plus haut gradé après le juge à demander à faire appel à des soigneurs professionnels, ce qui ne manqua pas de soulager Mélina. Il leur faudrait bien ça s’ils espéraient obtenir des réponses plus élaborées que les grognements et gémissements qu’ils étaient tout juste capable de pousser...

C’était en tout cas ce que Mélina pensait qu’il se passerait, jusqu’à ce que l’homme qui se faisait appeler Vlad n’intervienne à son tour. Le traitement infligé au malandrin était loin d’être anodin, ce qui ne fit qu’attiser les suspicions de l’Inquisitrice envers le soi-disant noble. Ses méthodes et l’aura qu’il ne se bornait à exulter la laissait penser qu’il n’y avait pas que son devoir envers les habitants qui motivait ses agissements.

Malheureusement, rien de ce dont elle disposait contre lui ne lui permettrait de l’incriminer d’une quelconque façon. Il ne s’agissait que de conjectures et observations subjectives, rien qui ne pourrait l’aider à constituer un dossier susceptible d’être accepté par un homme aussi inflexible que Manfred Von Karma.
En parlant du Juge Von Karma, ce dernier avait tout juste pris la peine de leur adresser la parole pour les féliciter d’avoir permit l’arrestation des trois brigands mais à peine avait-il conclu sa tirade qu’il avait oublié quant à leur existence même.

Curieux.

D’une part parce qu’elle se serait attendue à ce qu’il demande à ce que les deux femmes les accompagnent jusqu’au poste de sécurité le plus proche pour qu’elle expose leur situation dans le moindre détail, puisqu’elles avaient sciemment pris part au combat au beau milieu de la rue, s’exposant donc à des sanctions potentielles, aussi mineures soient-elles.

Ensuite, et ce malgré qu’il n’ait cessé de les dévisager l’une après l’autre durant son élocution, elle n’avait absolument pas fait état de la présence de la fille supposément décédée de l’une des familles les plus tristement célèbre de la cité.

Avait-il vraiment oublié à quoi elle était censée ressembler, comme Ellias lorsqu’elle l’avait vu à Tréno ? Ou bien avait-il volontairement ignoré sa présence ?

Elle n’avait rien décelé dans son expression du visage qui pouvait indiquer de la surprise ou ne serait-ce qu’une once d’étonnement dans sa voix. Elle n’excluait cependant pas qu’après des années à présider les séances, il soit capable d’occulter ses états d’âme lorsque la situation l’exige.

Si elle avait prêté attention au discours de Vlad tout juste assez pour connaître ses futurs déplacements, elle coopéra sans problème avec les gardes pour qu’ils sachent qu’elles n’avaient fait que se défendre contre les hommes armés.

Les explications parurent suffisantes pour les laisser repartir toutes les deux immédiatement après.

Mélina se demanda si l’argent qu’elle venait de recevoir était vraiment le bienvenu ou s’il devait être considéré comme un cadeau empoisonné. Il ne fallait pas s’attendre à ce qu’une telle somme d’argent ne lui occasionne pas d’autres problèmes la prochaine fois qu’elle ferait face à celui qui s’en était séparé comme de la petite monnaie.

Après avoir retourné le problème dans tous les sens, elle se décida à empoigner fermement la bourse, non l’avoir fait voltiger quelques secondes d’une main experte comme pour tenter d’y déceler une dernière entourloupe à base de dispositif dissimulé dans son contenu, et se tourna vers l’autre femme.

« Je ne sais pas vous mais je crois que je vais avoir besoin d’évacuer ce qu’il vient de se passer autour d’une bonne assiette. Si le cœur vous en dit, je vous invite. »

Si son visage semblait n’arborer aucune déformation, sa voix trahissait un certain agacement quant à tout ce qu’il venait d’arriver et les circonstances dans lesquelles c’était arrivé.

La femme avait accepté l’invitation de Mélina, non sans avoir glissé un commentaire sur les particularités de l’homme qui leur avait proposé un travail.

« Je ne vous apprends rien en disant que les murs ont des oreilles, et cela est d’autant plus vérifiable dans cette ville. Attendons d’être autour d’un bon repas pour commencer à discuter. »

Échanger plus encore à propos de ce qu’il venait de se passer serait bien moins risqué au milieu du brouhaha d’une salle remplie de clients et du bruit de la vaisselle qui s’entrechoque qu’au beau milieu d’une ruelle sombre. Il était tout aussi nécessaire de mettre le plus de distance entre elles et l’homme en question avant de se pencher sur d’éventuelles mesures préventives à son encontre.

Mélina ne manqua pas d’interpréter l’énonciation du nom de son interlocutrice comme un signe de confiance, ce qui s’avérait plutôt surprenant étant donné l’attitude dont elle faisait preuve encore quelques minutes auparavant. L’inquisitrice compris donc qu’il devait s’agir d’une façade qu’elle avait établie le temps de l’altercation. Plutôt osé, il fallait bien l’admettre. Et aussi rondement mené, car aucune expression du visage de la femme en noire n’avait contredit ses déclarations. Un nom très loin de ne receler aucune signification aux oreilles de Mélina, qui avait fait partie des Amazones d’Alexandrie et qui avait bien évidement assisté aux séances d’entraînement à la sévérité réputée prodiguées par cette supérieure aux nombreux adjectifs rarement flatteurs.

« Dame Bélia, donc. Mon nom est Mélina Hartford. Nous aurons sûrement l’occasion d’échanger nos histoires respectives, à l’avenir. »

Elles purent reprendre la direction de la taverne la plus proche. Comme promis, Mélina offrit de prendre en charge toutes les dépenses de la soirée et incita Bélia à commander sans se priver, car elle en ferait de même.

Elle resta silencieuse le temps que leurs premiers plats n’arrivent mais dès que la serveuse s’en fût allé, Mélina reprit la discussion là où elle s’était interrompue :
« Je confirme que l’individu auquel nous avons été confrontés aujourd’hui n’avait absolument rien chez lui qui m’a convaincu de sa bonne foi. Son apparence extérieure a beau avoir dupé les officiels de la ville, il m’est très clairement apparu que rien de ce qu’il peut dire ou faire ne peut me convaincre du bien-fondé de sa présence ici. Il... Cette chose, pour ainsi dire, n’a nullement sa place sur ces terres. Je ne suis même pas certaine qu’il ait une place où que ce soit. »

Mélina interpella la serveuse la plus proche pour commander une nouvelle assiette du même rôti qu’elle venait d’engloutir tout en délivrant ses impressions.

« Je ne pense pas qu’il soit prudent de s’opposer ouvertement à lui, du moins pas tant qu’il dispose d’un soutien aussi important que celui des autorités locales. D’ailleurs, je doute fortement qu’il fasse appel à eux dans le cas où il serait attaqué dans un lieu isolé. Il ne serait pas étonnant qu’il dispose de ressources plus accessibles et bien plus efficaces pour éliminer ceux qui veulent lui nuire. »

« Entendue, ma chère. Si tant est que cela ne vous incommode pas, je n’ai moi non plus aucune raison de vous imposer les formalités à mon encontre. »

Le repas touchait progressivement à sa fin, les plats s’étant empilés des deux côtés de la table, ce qui devait très certainement rassurer les propriétaires de l’établissement, après qu’ils avaient très probablement paniqué en voyant entrer la géante en armure accompagnée de cette jeune femme à la coiffure typique du gratin local.

« Nous sommes donc d’accord. Mais inutile de nous empresser de se lancer dans ce qui ressemble à une entreprise hasardeuse. J’ai beau n’avoir côtoyé qu’une seule facette de la population locale, je sais qu’il est très loin d’être aisé rencontrer les figures influentes de ce que l’on qualifie de pègre ici-bas. Je ne doute pas que vous sachiez comment vous y prendre mais je souhaiterais commencer par tenter une approche, disons, moins répréhensible au premier abord. »

La jeune Inquisitrice déposa ses couverts à côté de l’assiette qu’elle venait donc de terminer, prit soin de s’essuyer le contour de sa mâchoire à l’aide d’un mouchoir en tissu personnel et se leva en déclarant :
« Bien ! Je pense qu’avant de penser à poursuivre plus loin, nous devrions recueillir quelques informations supplémentaires concernant la situation de la ville. Et je pense savoir où nous pourrions nous rendre dans ce but ! »

Un sourire malicieux éclaira furtivement le visage de Mélina avant qu’elle ne se dirige vers le comptoir pour payer les consommations. Lorsque ce fut fait, elle invita Bélia à la suivre à travers les rues de Tréno qui fourmillaient encore d’activités conséquentes.

Les regards qui leur étaient adressés dénotaient une certaine inquiétude et une certaine méfiance quant à la présence de ce qui ressemblait à une originale en tenue de yévonite et de cette montagne d’ébène qui déambulaient côte à côte.

« Cette atmosphère si particulière de dédain pour ceux qui ne possèdent pas autant... S’il fut un temps où je pensais que je reviendrais vivre ici, ce ne serait mentir que d’affirmer que Tréno m’ait manqué. »

Elles atteignirent rapidement le quartier surplombant le canal sud-est, richement adorné de sculptures et autres décorations urbaines pour attester du niveau de vie de ses mécènes, et plus spécifiquement de celui qui se targuait de posséder le bâtiment au centre du secteur, à savoir l’hôtel de ventes de Tréno. S’il s’agissait à une époque du mystérieux Roi de Pique, que même le père de Mélina n’avait jamais pu prétendre à connaître son visage tant il semblait décidé à entretenir le mystère autour de son identité, le propriétaire actuel devait très certainement être l’un, si ce n’est un collectif constitué de plusieurs des nouvelles figures de la noblesse locale.

L’emblème de l’ancien propriétaire avait cependant été conservé, dans un souci de respect pour la tradition des quatre familles, et on pouvait le voir s’afficher fièrement sur la devanture et les murs de la bâtisse en pierre blanches.

« Bonsoir messieurs ! déclara l’ancienne noble à l’adresse des deux gardes en faction devant l’entrée de l’hôtel des ventes.
-Hopopop ! On ne fait pas un pas de plus ! Il n’y a aucune enchère prévue ce soir !
-Et de toute façon, vous ne seriez pas autorisé à entrer sans une recommandation valable ! A votre allure, j’ai de gros doutes quant à ce soit le cas. »

Les deux hommes ne faisaient que ce pourquoi ils étaient payés, Mélina en avait bien conscience mais ça n’occultait pas l’exaspération qu’elle ressentait envers l’aspect bien trop procédurier auquel elle se trouvait de nouveau confrontée.

« Messieurs, je vais vous demander de faire un effort et nous laisser nous entretenir avec l’un des directeurs de salle. Nous souhaiterions poser quelques questions concernant les dernières acquisitions de l’hôtel des ventes.
-Ah vraiment ? On peut savoir sous couvert de quelle autorité vous vous permettez de faire ce genre de demande ? Vous ne m’avez pas l’air d’appartenir à la garde nocturne, et encore moins... votre amie... »

Elle se doutait bien qu’ils n’accepteraient pas d’accéder à une requête aussi spécifique mais surtout aussi osée sans une bonne raison. Son statut d’Inquisitrice de Yévon ne devrait probablement pas leur dire grand-chose et même s’ils en avaient déjà entendu parler, elle ne comptait s’en servir qu’en ultime recours.

« Toutes mes excuses, j’en oublierais presque mes bonnes manières. Faites savoir que Mélina Hartford a fait cette demande. »

Après un moment de silence, les deux hommes échangèrent un regard mi-amusé, mi-confus, probablement incapables de dire si le nom qui venait de leur être communiqué revêtait une importance quelconque dans le cas qui les intéressait. L’un d’eux se retourna finalement et déclara :
« Bon, on veut bien faire passer le mot mais dans tous les cas, vous n’aurez rien de plus pour aujourd’hui. Les enchères ne reprennent pas avant demain alors vous serez gentils de bien vouloir circuler. »

Chou blanc pour aujourd’hui donc mais au moins, la piste n’était pas encore totalement refroidie. Une brève salutation de la part de la demoiselle aux chaînes et elle invita la béhémoth à repartir avec elle.

« Ce n’est que partie remise, heureusement. Oh ! Je n’ai pas eu la présence d’esprit de vous expliquer les raisons qui m’ont poussé à venir me renseigner de ce côté de la ville. Du temps où ma famille et moi vivions encore ici, j’ai appris qu’une partie de ce que les enchères offraient à ceux qui y participent avait pour origine un canal de distribution mis en place via la coopération de la frange plus modeste des habitants de Tréno. Loin de là l’idée d’un trafic en bande organisée, je vous rassure. Il s’agissait essentiellement d’un des rares efforts de coopération entre certains individus à l’esprit aventureux, capables de dénicher quelques raretés lors de leurs excursions en dehors des murailles et quelques nobles pragmatiques, qui trouvaient plus productifs de récupérer et évaluer ces trouvailles. Le tout étant rémunérer aussi justement qu’il leur était possible selon comment ils parvenaient ensuite à vendre les artefacts. J’ignore si ce système a continué de prospérer jusqu’à nos jours mais étant donné tout ce qui se raconte à propos de ce développement miraculeux des activités commerciales, cela ne m’étonnerait pas qu’il y joue encore un rôle clé. Et s’il existe des hommes comme ce fameux Bayroyd qui font normalement preuve d’un peu plus de jugeote que la moyenne, ils ne doivent pas avoir ignoré ce genre d’occasion, surtout depuis que les mondes ont fusionné. En attendant, je suppose que nous devrions commencer à nous chercher une auberge pour passer la nuit. »